Le premier article présentait les aspects qualitatifs de l’entreprise, notamment :
- Son histoire
- Ses activités et son positionnement stratégique
- La nature de son activité et sa composition
- Les facteurs favorables à son développement (vents porteurs)
- La composition de son capital
- Etc.
Pour ceux qui n’ont pas encore lu cet article, vous pouvez y accéder en cliquant ici.
Ce nouvel article se concentre sur une analyse quantitative de l’entreprise en examinant ses comptes consolidés et en proposant une estimation de sa valorisation. À noter que l’entreprise clôture son exercice annuel au mois de mars de chaque année.
I- L’analyse du compte de résultat :
En 2008, Mersen réalisait 85 % de son chiffre d'affaires à l'international, un chiffre qui atteint désormais 92 %.
Si l’on compare le chiffre d'affaires de 2011 à 2023, on pourrait croire qu’il n’a connu qu’une très faible croissance. Cependant, la réalité est différente.
Nous observons une croissance annuelle moyenne (CAGR) de 5 % du chiffre d'affaires sur 15 ans et de 4 % sur 17 ans. Cette croissance s’inscrit dans un contexte stratégique en deux phases :
• Phase 1 : Désengagement des activités à faible valeur ajoutée en Advanced Materials. Mersen a cédé plusieurs activités non stratégiques, comme celles dédiées à l’automobile (plaquettes de frein, balais, etc.), l’électroménager et le nucléaire. Parallèlement, l’entreprise a renforcé sa position de leader en se concentrant sur des segments porteurs, comme les fusibles et le graphite haute température, ainsi qu’en rachetant des divisions cédées par Schneider et Areva.
• Phase 2 : Désengagement des activités Electrical Power non stratégiques
Mersen a commencé dès 2011 à se retirer des activités Electrical Power ne répondant pas aux critères de taille critique et de rentabilité, telles que les interrupteurs et les sectionneurs électriques.
Globalement, cette stratégie a visé à :
• Céder les activités où l’entreprise n’est pas dans le top 3 mondial
• Se repositionner dans des secteurs porteurs comme les énergies renouvelables et les véhicules électriques
• Consolider son marché par des acquisitions ciblées de taille moyenne (5 à 20 millions d’euros)
Cette réorientation porte aujourd'hui ses fruits, avec une croissance annuelle moyenne de 5,2 % sur les 10 dernières années, contre 4 % sur les 17 dernières.
Le profil de Mersen a également évolué : alors qu’initialement 56 % de son chiffre d'affaires provenait du pôle Electrical Power (aujourd'hui 45 %), le pôle Advanced Materials est passé de 44 % à 55 %. On rappelle que ce dernier est à la fois plus rentable mais aussi plus cyclique et avec des investissements CAPEX plus beaucoup plus lourds.
Pour rappel, le pôle Advanced Materials est plus rentable, avec une marge d'EBITDA de 17 %, comparé à 14 % pour le pôle Electrical Power, mais il est également plus cyclique. Cela renforce le profil globalement cyclique de l’entreprise.
Cette cyclicité se reflète également dans l'évolution du chiffre d'affaires au cours des 17 dernières années.
Dans l’ensemble, l’activité de l’entreprise est en croissance, bien que toujours marquée par une certaine cyclicité. L’analyse qualitative et quantitative concordent sur ce point, et cette tendance devrait se poursuivre, comme souligné dans la première partie de cette étude.
À noter également que la part de chiffre d'affaires réalisée à l’international est passée de 85 % en 2007 à 92 % aujourd’hui, avec 8 % du chiffre d’affaires provenant de la France. Par ailleurs, les investissements du groupe sont désormais principalement orientés vers les États-Unis, suivis de l’Asie, puis de l’Europe. Cette stratégie est cohérente au vu des perspectives de croissance du PIB dans ces régions.
La marge brute du groupe est stable, oscillant autour de 30 %. Les résultats suivent également la cyclicité de l’activité, avec une marge nette moyenne d’environ 4 % sur les 15 dernières années.
Étant donné qu'il s'agit d'une entreprise à forte intensité capitalistique, il sera pertinent d’analyser les flux de trésorerie qu’elle génère.
On note également que l’entreprise consacre en moyenne 3 % de son chiffre d'affaires à la recherche et développement, et que ses charges d’endettement sont largement couvertes par son EBIT. Nous approfondirons ce point dans l’analyse à venir.
II- L’analyse du bilan consolidé :
Globalement le bilan de Mersen peut être simplifié sous le format suivant :
a) Intensité capitalistique
L’intensité capitalistique de l’entreprise se confirme dès la première analyse du bilan : Mersen mobilise 1,5 milliard d'euros d'actifs pour générer 1,2 milliard d'euros de chiffre d'affaires, soit un taux de rotation des actifs de 0,78. En d'autres termes, elle doit investir 1,25 € d'actifs pour générer 1 € de chiffre d'affaires.
Une comparaison avec les concurrents du secteur graphite montre que ce ratio est dans la norme, bien que Morgan Advanced Materials affiche une meilleure performance avec un taux de rotation des actifs de 0,92, soit 1,09 € d'actifs pour 1 € de chiffre d'affaires. Cet écart s'explique en partie par le poids du goodwill de Mersen, qui atteint 257,7 millions d'euros. En excluant le goodwill, le taux de rotation des actifs de Mersen s’élèverait à 1 (1 € d'actifs pour 1 € de chiffre d'affaires).
Cela est important à garder en tête, sachant que l’entreprise vise 1,7 milliard d’euros de chiffre d’affaires d’ici 2027, nécessitant des investissements conséquents dans les trois prochaines années (400 millions d’euros en CAPEX).
b) Besoin en fonds de roulement (BFR)
Le BFR de l’entreprise est également élevé, se maintenant à environ 19,2 % du chiffre d'affaires. Ce niveau représente une contrainte pour accompagner la croissance visée par Mersen, qui devra mobiliser 20 % de son chiffre d’affaires pour son BFR afin d'atteindre son objectif de 1,7 milliard d’euros de CA d’ici 2027.
c) Dettes, dette nette et covenants
Mersen est relativement peu endettée pour une entreprise à forte intensité capitalistique, ce qui suggère une gestion prudente, souvent observée dans les entreprises familiales. Le gearing de l’entreprise est de 46 %, avec une dette nette de 395,8 millions d’euros (dont 160 millions d’euros de dette d’exploitation), soit moins de deux fois l'EBITDA et trois fois l'EBIT de 2023.
L’entreprise a toutefois surpris le marché par des augmentations de capital en 2008 et 2022, privilégiant cette solution à l’endettement pour financer sa croissance. Mersen bénéficie d’un taux d’emprunt moyen de 3,8 %, témoignant de la confiance de ses créanciers. De plus, 75 % de cette dette est à taux fixe, avec des échéances majoritairement inférieures à cinq ans. Compte tenu de la gestion prudente de la trésorerie (qui sera confirmée par l’analyse des flux de trésorerie), le risque de défaut est faible.
Enfin, Mersen respecte les covenants financiers suivants :
- Dette nette / EBITDA < 3,5
- Gearing (Dette nette / Fonds propres considéré par l’entreprise) < 1,3
d) Ratios de rentabilité
Compte tenu de la structure de son bilan, Mersen présente :
- Une rentabilité des fonds propres de 10 %
- Une rentabilité des capitaux employés de 11,2 %
- Une rentabilité des actifs de 5 %, ce qui est normal pour une entreprise à forte intensité capitalistique
Mersen vise un ROCE de 13 % d'ici 2027. Bien que ces performances soient honorables pour ce type d’entreprise, elles restent relativement modestes.
Tout laisse toutefois à penser que les performances réalisées par Mersen devraient se situer en moyenne autour de 10% par an dans les années à venir.
III- Tableaux de flux de trésorerie :
La lecture du tableau des flux de trésorerie peut être résumé sous le tableau suivant :
À noter que les flux de trésorerie d’exploitation sont calculés après financement du besoin en fonds de roulement.
Par ailleurs, le management a souvent communiqué sur la part des CAPEX de maintenance par rapport aux CAPEX totaux investis chaque année, qui oscille entre 20 % et 30 % selon les années. Dans le tableau ci-dessus, nous avons retenu une hypothèse de 30 %.
On observe ainsi que l’entreprise parvient à générer un free cash-flow après maintenance de ses installations d’environ 100 millions d’euros par an, avec une tendance nette à la hausse.
IV- Valorisation & synthèse de l’étude :
En résumé, Mersen présente les caractéristiques suivantes :
• Une activité stable sur le long terme mais sensible aux fluctuations de l’économie mondiale.
• Une forte intensité capitalistique et une nature cyclique, avec un positionnement sur des secteurs porteurs qui laissent entrevoir une croissance de l’activité.
• Un management compétent, avec une gestion maîtrisée et un faible niveau d’endettement.
• Une rentabilité des fonds propres de 10 %, avec un rendement des capitaux employés au même niveau.
• Un free cash-flow de 100 millions d’euros par an, en tendance croissante. L’entreprise est actuellement dans un cycle d’investissements importants, qui devrait se terminer vers 2027-2028.
• Une capitalisation boursière de 500 millions d’euros, représentant cinq fois le free cash-flow et sept fois le résultat net.
• Bien que l’activité soit en léger ralentissement, cela ne devrait pas impacter la trajectoire à long terme de l’entreprise.
Enfin, l’analyse historique des multiples EV/EBIT et Market Cap/CA suggère que l’entreprise est sous-évaluée.
Il ressort de l’analyse que l’entreprise Mersen présente un EV/EBIT moyen de 10 depuis 2009, tandis qu’il est actuellement de 6,7. De même, le ratio Market Cap / Sales, qui était en moyenne de 0,7, est désormais tombé à 0,44. Ces chiffres suggèrent que Mersen est actuellement sous-valorisée.
Sur la base de cette analyse, la performance attendue pour l’entreprise pourrait se décomposer comme suit :
• Un rendement de dividendes de 5 %
• Une croissance organique de 2 à 3 %
• Une croissance externe de 2 à 3 %
• Un rerating de 6 à 8 % si les multiples reviennent à leur niveau moyen d’ici cinq ans.
Cela suggère une performance globale attendue supérieure à 15 % à moyen/long terme, bien que cette perspective soit influencée par l'état de l’économie actuelle.
Il est important de préciser que cette analyse représente uniquement mon avis personnel sur l’entreprise Mersen et ne constitue en aucun cas un conseil d’investissement.
Nota : Je suis actionnaire de Mersen depuis la récente chute du cours.